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Steven Wilson - La tête et les oreilles dans les étoiles

On ne pensait pas que ce soit possible, vu ce que Steven Wilson a déjà accompli, mais, avec « The Overview », il a passé un nouveau cap. En son et en image, le voilà explorant les confins de l’univers, comme s’il s’était embarqué avec Captain Kirk et Mr. Spock dans l’Enterprise. Ce nouveau tour de force, il aurait tout aussi bien pu le baptiser « Star Trek »…

À première vue, la création de cet album semble différente des trois précédents, qui privilégiaient des morceaux plus courts, malgré une certaine diversité de styles. Cette fois, il n’y a que deux longs morceaux, avec un mélange d’influences presque « habituel » chez toi. Toutes proportions gardées. C’est le changement dans la continuité ?

Steven Wilson : Je conserve en effet dans le même vocabulaire musical, avec sensiblement les mêmes ingrédients que vous avez peut-être entendus sur « The Harmony Codex », avec un peu d’électronique, un peu d’ambient, un peu de metal, un peu de prog, un peu de jazz, un peu de songwriting. Mais cette fois, la grande différence, c’est le retour à une approche plus conceptuelle, avec un flux plus structuré. Un format long, avec deux morceaux particulièrement étendus. Mais cela me semble être l’étape logique suivante dans mon parcours.

L’ensemble semble suivre un concept ou un thème plus ou moins précis… As-tu été guidé par une idée directrice claire dès le départ et, dans la tradition du rock progressif, tu as ensuite assemblé toutes sortes d’idées pour faire lien, qu’il s’agisse de la musique ou des textes ?

Absolument ! C’est une situation assez rare pour moi, en tout cas. Cette fois, je connaissais le titre, le concept et la structure de l’album avant même d’écrire une seule ligne de texte ou de composer la moindre note de musique. J’avais une sorte de « film pour les oreilles » dans ma tête. J’aimerais que ce soit toujours comme ça, parce que cela rend le processus… pas forcément plus facile, mais plus fluide. Avoir un sujet fort dès le départ, c’est une vraie chance, et j’ai su tout de suite que je voulais écrire sur ce thème. C’était presque un cadeau tombé du ciel.

Dans les années 70, rock progressif partageait avec la science-fiction une image de passion de nerds, avec un univers un peu à part, réservé à une certaine caste d’initiés comme dans « Big Bang Theory ». Avant « Star Wars », les films de type « space opera » n’étaient pas encore un phénomène grand public, à l’exception de « 2001 l’Odyssée de l’espace »… Aujourd’hui, avec Netflix et toutes les plateformes de streaming, la science-fiction est partout. En mariant les deux, ton album arrive pile-poil, en fait…

Oui et non… Tu as raison, il y a beaucoup de séries de science-fiction, beaucoup de films qui se déroulent dans l’espace… Mais, en réalité, peu de gens lèvent encore les yeux vers les étoiles. Et je n’ai pas l’impression qu’il y a un réel intérêt pour la science ou l’astronomie. Les gens adorent les aventures dans l’espace, mais ils ne s’intéressent pas vraiment à ce qui s’y passe… Et je m’inclus là-dedans. Avant de me lancer dans cet album, j’avais complètement décroché. Mais, depuis, j’ai appris énormément sur l’état actuel de l’exploration spatiale et des avancées scientifiques. En fait, la plupart des gens n’en ont aucune idée, parce qu’on est devenus hyper centrés sur nous-mêmes, scotchés à nos écrans de téléphone, obsédés par notre petit monde… Ce que je voulais rappeler avec « The Overview », c’est que, malgré toutes ces séries de science-fiction, l’espace, c’est réel. L’univers est réel. Et il est immensément vaste… C’en est même flippant. C’est tellement énorme que ça dépasse l’entendement. Nous, notre espèce, à l’échelle de l’espace, nous sommes complètement insignifiants. Mais je ne dis pas ça dans un sens négatif. Au contraire, je trouve ça merveilleux et fascinant.

Effectivement, nous ne sommes que des grains de poussière. On pourrait se demander : « À quoi bon ? » Et, à cet instant précis, se dire : « Cette interview va-t-elle servir à quelque chose ? (rires) »

Mais bien sûr… Tout cela a-t-il une importance ? La vraie réponse à ta question, c’est celle-ci : je trouve ça magnifique de pouvoir reconnaître ça. Mon existence n’a aucune importance à l’échelle de l’univers… et n’est-ce pas justement une belle chose ? Il faut juste profiter du voyage. Faire ce qui nous rend heureux, parce que l’univers s’en fout complètement. Quoi que tu fasses, ça n’a aucun sens pour lui. Mais je suis persuadé que c’est une vérité essentielle à accepter, d’une certaine manière. Il n’y a pas de Dieu, pas de but prédéfini à ce qu’on fait. Pas du point de vue de l’univers, en tout cas. Mais au fond, ce qui compte, c’est qu’on trouve tous un moyen de donner du sens à ce cadeau qu’est la vie. Pour moi, c’est la musique. C’est ce qui me donne l’impression d’avoir une raison d’être. Pour d’autres, ça peut être prendre soin des animaux, voyager, avoir des enfants… Peu importe, tant que ça leur permet de donner un sens à leur existence. Et c’est ça qui est beau, qui est magique. Mais je pense aussi qu’il est important, parfois, de lever les yeux et de regarder autour de soi. Pas juste de rester enfermé dans son petit monde.

As-tu parlé de tout ça avec ton ami Brian May, qui a un doctorat en astrophysique ?

Brian n’est pas vraiment un ami proche, malheureusement (rires). Mais c’est intéressant, parce qu’au départ, j’ai commencé à parler de « The Overview » avec Alex Milas, qui dirige Space Rock, une organisation dédiée à faire le lien entre l’astronomie et la musique. On pourrait penser que ces deux mondes sont opposés : d’un côté, la science, de l’autre, l’imagination et la créativité. Mais je crois qu’ils ont un point commun essentiel : l’intérêt pour l’inconnu. L’astronomie et la musique — ou, plus largement, la création artistique — partagent cette même fascination pour ce qui échappe à notre compréhension. Nous sommes curieux de ce qui est au-delà de notre savoir, intrigués par ce qui n’est pas facile à expliquer. Et c’est là, je pense, qu’il y a une vraie connexion entre ceux qui scrutent les étoiles et ceux qui plongent dans leur imagination.

Exceptionnellement, tu as aussi collaboré étroitement avec un autre musicien pour les textes et non des moindres, Andy Partridge de XTC, dont tu as remixé et remastérisé certains albums…

Il y a une raison très précise à cette collaboration. Pour moi, cet album fonctionne comme un film, et il y avait une scène en particulier où je voulais créer un contraste fort. D’un côté, les plus infimes détails de la vie quotidienne : un mari qui trompe sa femme, une infirmière qui travaille en maison de retraite, un jeune qui commence son premier job dans une concession automobile… Et de l’autre, les phénomènes cosmiques les plus gigantesques : des étoiles mourantes, des nébuleuses qui s’effondrent, des trous noirs qui implosent… Et, immédiatement, j’ai pensé à Andy. Parce qu’Andy est le maître absolu quand il s’agit d’écrire sur la vie ordinaire dans une petite ville. Si tu connais XTC, tu vois exactement ce que je veux dire. Lui, avec Ray Davies des Kinks, est l’un des meilleurs pour capturer cette réalité du quotidien. Donc j’ai tout de suite pensé à Andy, je l’ai appelé pour lui lancer un défi quasi impossible : « Je voudrais que tu écrives sur des choses simples, mais en établissant en permanence un parallèle avec ces événements cosmiques immenses, à l’autre bout de l’univers. » Et il y est parvenu sans aucun problème ! Il a réalisé un travail exceptionnel.

Sur cet album, on retrouve enfin d’incroyables parties de guitare un peu partout. Elles sont vraiment intégrées tout au long de « The Overview ». Avant de connaître les crédits, je m’attendais d’ailleurs à voir apparaître le nom de Guthrie Govan, mais, au final, c’est essentiellement Randy McStine, qui nous avait impressionnés sur la tournée avec Porcupine Tree, et toi…

Sur une grande partie de l’album, je joue tout moi-même. On va dire 80 % de toutes les parties de guitare, de claviers, de basse… Je m’occupe de la plupart des parties puissantes, des sections plus calmes… Mais, vers la fin, j’ai voulu incorporer des solistes. Et je ne voulais pas jouer ce solo moi-même. Essentiellement, parce que je connais mes propres limites et que je suis vraiment blasé dans le domaine des solos. J’ai donc fait appel à Randy McStine, et aussi à Niko Tsonev. Même pour les solos, je cherchais des sonorités mettant en valeur une touche contemporaine. Par exemple, sur le grand solo du premier passage (Objects Outlive Us, NDR), qui est un long solo de guitare très étendu, j’ai dit à Randy : « On va réinventer l’idée du solo épique classique. On ne va pas refaire Comfortably Numb. On sait que c’est l’un des plus grands solos de tous les temps, on l’a entendu, on le connaît, il est intemporel. Mais on ne va pas simplement reproduire ce modèle. On va créer quelque chose qui a le même sens du drame, la même montée en puissance, mais avec une approche différente. » Et, comme Randy est jeune, il comprend cette idée. Il a expérimenté avec différents sons, différentes approches musicales, un vocabulaire et des techniques variées. Pour moi, l’objectif était que ce solo s’inscrive dans la tradition du rock conceptuel classique, tout en sonnant comme quelque chose qui n’aurait pu être joué qu’en 2024. Non seulement le matériel a évolué, mais on a dépassé le stade de la gamme pentatonique blues traditionnelle… D’autant que l’album évoque le cosmos et qu’il faut chercher au-delà des sons trop « terre à terre ». Il fallait précisément créer des sonorités « cosmiques ».

La guitare cosmique, c’était un peu la spécialité de Steve Hillage… Tu as pensé à lui ?

J’adore Steve Hillage, mais il joue quand même beaucoup dans les gammes blues pentatoniques traditionnelles. Mais je voulais aller au-delà. Quand j’ai discuté avec Randy, on pensait plutôt à des musiciens comme Bill Nelson, Robert Fripp… Peut-être même Jonny Greenwood de The Smile et Radiohead, ou encore Robin Guthrie de Cocteau Twins… L’idée était vraiment de travailler sur le son, de faire des choix différents, d’échapper aux schémas du blues et du classic rock. Est-ce qu’on a réussi ? Je ne sais pas. Mais c’était l’intention.

La Telecaster, c’est sa guitare de cœur. Ici à L’olympia le 12 mars 2018. © Jean-Pierre Sabouret

Il y a quelques années, nous nous étions rencontrés avant un concert au Palais Des Congrès (le 1er février 2016), et tu me disais que tu avais envie de changer un peu de guitare. Tu commençais à jouer avec une Telecaster et tu te demandais si elle n’allait pas devenir ta guitare préférée… Depuis, on dirait qu’elle ne te quitte plus !

Mais oui, je n’ai jamais trouvé mieux. Je vais vous étonner, mais je me suis chargé des parties de basse et c’est ce que j’ai préféré sur cet album ! J’ai choisi une basse acoustique, une Takamine. Le gros riff bien fuzzy au milieu d’Objects Outlive Us, c’est cet instrument branché sur un ampli à plein pot. Mais, pour le reste, j’ai quasiment tout joué avec ma Telecaster. Pour les parties électriques, c’était toujours la Telecaster, branchée soit sur des amplis, soit sur des plugins et des simulateurs d’amplis. D’accord, je ne suis pas un puriste, j’utilise tout ce qui peut produire un son intéressant et ce n’est pas près de changer !

Pas seulement sur cet album, mais plus encore sur « The Overview », tu sembles avoir trouvé l’équilibre parfait entre une musique organique et une approche plus électronique, voire totalement abstraite…

Je suis convaincu que c’est l’un des moments les plus passionnants – si ce n’est LE plus passionnant – pour faire de la musique. On a désormais accès à toute l’histoire des sons. Regarde, c’est incroyable : on a le Fender Rhodes, le piano, le Mellotron, la guitare acoustique… Tous ces instruments mythiques ! Et en même temps, on a aussi une toute nouvelle génération d’instruments numériques, capables de transformer, de muter, de modeler les sons d’une manière totalement inédite. C’est une époque fascinante pour créer et explorer le son. Rien qu’avec une guitare, le nombre de pédales et de plugins disponibles est hallucinant. Ce qui est dommage, c’est que peu de musiciens semblent vraiment exploiter ces possibilités.l

Lorsqu’il ne contemple pas les étoiles, Steven se ressource au fond des bois. © Kevin Westenberg

Le ou "les" films

On va finir sur ce film qu’on va voir ce soir (l’interview a eu lieu le 3 mars, avant la projection dans un cinéma parisien). Comment est née l’idée de l’associer à l’album ?

En général, quand tu sors un album, le label te demande quels morceaux tu veux sortir en single, avec quel clip… Mais, cette fois, j’ai répondu : « Non ! On va simplement sortir l’album. Pas de single en amont, la première fois que les gens l’entendront, ce sera dans son intégralité. » Et puis, au lieu de commander plusieurs clips séparés, j’ai décidé de prendre tout le budget qui aurait été investi et de le confier à un seul réalisateur pour qu’il fasse un film pour l’ensemble de l’album. On pourra le projeter, l’intégrer aux concerts… Et le résultat est devenu une véritable interprétation visuelle de l’album. Certaines séquences sont directement liées aux paroles, d’autres à des concepts scientifiques, et d’autres encore sont des visions personnelles du réalisateur. Mais ce film fera aussi partie du spectacle live.

Et ce n’est pas le seul film sur lequel tu as travaillé cette année, puisque tu as remixé, ou plutôt « restauré », le monumental « Pink Floyd – Live at Pompeii » !

Oui, absolument ! C’était un vrai défi. Déjà pour le groupe à l’époque, mais aussi pour moi au niveau du travail de restauration sonore. L’enregistrement original est incroyable, mais il aurait aussi pu être une catastrophe technique. Le mixage a été compliqué, car la qualité de la prise de son n’était pas idéale : il y avait pas mal de distorsion et des problèmes de niveaux. Ça a été un vrai travail de sauvetage, et j’ai fait de mon mieux. Mais, honnêtement, le résultat est bien meilleur que ce qui existait avant. Je pense que les fans de Pink Floyd seront satisfaits. Même visuellement, la restauration est impressionnante. L’image est magnifique, elle a été retravaillée image par image pendant trois ans. Vous imaginez ? Franchement, ça donne l’impression que tout a été filmé et enregistré hier.

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