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Patrick Rondat, Partie 1 : L’album - L'escape franchi

Le moins que l’on puisse dire, c’est que fut un long et difficile parcours, plus de 20 ans après « An Ephemeral World », Patrick Rondat livre enfin son sixième album solo, « Escape From Shadows », et la réussite est totale.

Salut Patrick, comment vas-tu ? Enfin délivré d’un sacré fardeau, non ?

Patrick Rondat : Très bien, merci. J’ai d’excellents retours pour l’instant, ça se passe plutôt bien.

J’ai vu passer deux ou trois interviews, et même bien plus, il y a déjà pas mal de réactions…

Oui, ça a réagi assez vite, bien plus que ce que j’imaginais. Mais tant mieux.

Ça te rassure sur un point, contrairement à tant de musiciens, après aussi longtemps sans un album, tu étais visiblement très attendu…

Finalement, oui. Et c’est assez touchant. Parce que, après vingt ans sans sortir d’album studio, on aurait très bien pu m’oublier. Le fait que ce ne soit pas le cas, ça veut dire qu’il reste quelque chose. C’est rassurant, surtout dans une période où tout devient éphémère, où tout va très vite. Je prends un peu le contre-pied de cette tendance avec un album entier, à l’heure où beaucoup pensent que le format même de l’album ne sert plus à rien, qu’il faut juste sortir des titres un par un. Je trouve au contraire que c’est une démarche positive, et je suis heureux que le public le perçoive ainsi.

Ovation pour Patrick en mode acoustique. © Jean-Pierre Sabouret

Alors voilà, comment j’ai écouté ton album, d’abord librement, sans a priori, juste comme ça, en me laissant porter. Évidemment, comme je te connais depuis un certain temps – même un peu plus qu’un certain temps –, je n’ai pas été surpris : c’est du Rondat, sans conteste. Et puis, après cette première écoute, je me suis dit : tiens, je vais retourner aux débuts, comparer un peu. Et mis à part la production, peut-être…

Je pense que mon jeu a quand même pas mal évolué. Bien sûr, je reste moi-même, même sur ce dernier album, on retrouve ma patte, ça, c’est évident. J’ai posé certains éléments il y a longtemps, et ils sont toujours là. Mais il y a eu des changements. Par exemple, il y a beaucoup moins de plans néoclassiques qu’avant. J’ai aussi exploré des choses que je n’avais jamais abordées jusqu’ici. Sur ce disque, il y a deux morceaux en mode lydien, un mode que je n’avais quasiment jamais utilisé sur mes précédents albums. Il y a aussi cette rythmique en arpèges au son clair dans Invisible World, assez groovy, que je n’avais jamais faite auparavant. Le morceau lui-même a quelque chose de plus fusion, avec même une fin un peu prog 70’s – ce n’est pas un terrain où j’étais allé jusqu’ici. Donc, oui, mon jeu lead, mon phrasé ont évolué. Après, je fais attention à ne pas me laisser influencer par les effets de mode. Je ne vais pas soudain me mettre au jazz ou ajouter des cordes parce que c’est tendance. Je pense que ce serait une erreur, et surtout, je n’en ai pas envie. On appartient à une génération, à une esthétique. Vouloir courir après une mouvance quand on a déjà des décennies de guitare derrière soi, c’est compliqué. Quand tu joues depuis quarante ans, ton jeu devient une seconde nature. Il y a des choses qu’on ne peut plus – et qu’on ne doit pas – remettre en cause. Et franchement, ce serait idiot de le faire.

« je reste moi-même, même sur ce dernier album, on retrouve ma patte, ça, c’est évident. J’ai posé certains éléments il y a longtemps,et ils sont toujours là. Mais il y a eu des changements. » © DR

C’est peut-être le moment de le rappeler, parce que je n’ai pas vu tant de gens insister là-dessus : tu as été un véritable précurseur. Tu t’es lancé dans cette aventure instrumentale à une époque où, franchement, il n’y avait pas grand monde. On n’avait même pas encore « Surfing With The Alien » de Satriani…

Alors, je ne me considère pas comme un précurseur, mais je fais clairement partie des premiers à m’être engagé dans cette voie. En fait, je pense qu’il y a eu toute une génération de guitaristes – dont je fais partie – qui ont commencé à écouter autre chose que le metal pur et dur. On a découvert Di Meola, Holdsworth, un peu de jazz-rock, de fusion… Et quand je vois ce que jouaient des gars comme Tony MacAlpine, Vinnie Moore ou d’autres de ma génération, je m’aperçois qu’on a tous écouté les mêmes disques à la même époque. Il y a eu ce mélange assez unique entre le côté classique et hard rock de Ritchie Blackmore, l’influence de Malmsteen – avec son approche plus néoclassique, héritée aussi bien de Blackmore que d’Uli Jon Roth – et en même temps des plans très clairement inspirés de Di Meola dans ses débuts… On baignait dans cette hybridation. Donc, non, je ne dirais pas que j’étais un précurseur, mais disons que j’étais dans le premier convoi.

Avec la cassette que tu m’avais donnée à l’époque. C’était quelles années, 1986, 1987 ?

Oui, avant, le tout premier album que j’ai enregistré, c’était avec The Element. Il est sorti en 1983 ou 1984, et, pour être honnête, ce n’était pas un chef-d’œuvre. Mais, si tu écoutes bien, il y a déjà un ou deux solos où l’on reconnaît mon jeu, ma manière de phraser. Mon style était déjà là. Pour différentes raisons, ça ne s’est pas concrétisé à ce moment-là dans une voie instrumentale : le projet a glissé vers quelque chose de plus rock variété. Mais dès 1983, j’avais cette approche, ce type de jeu. C’était déjà en moi.

Voilà, donc, tu n’étais vraiment pas à la bourre…

Non, c’est vrai. Après, dans mon évolution, j’ai quand même été attentif à ce qui se faisait autour. Sur le premier album, il y avait encore des plans qui pouvaient rappeler Malmsteen ou d’autres, le côté micro grave, mineur harmonique, ce genre de choses. Mais j’ai peu à peu épuré tout ça. J’ai justement cherché à me détacher de ce qui pouvait trop évoquer d’autres guitaristes. Par exemple, j’ai opté pour des solos intégralement en aller-retour, très stricts, ce qui a contribué à façonner un jeu plus personnel. J’ai aussi privilégié le micro aigu. Je m’étais rendu compte que 80 % des guitaristes de metal passaient systématiquement sur le micro grave dès que ça allait vite. Ce n’était ni mieux ni moins bien, mais c’était un moyen pour moi de me démarquer, de prendre une autre direction. Et puis, petit à petit, j’ai travaillé sur mon timbre, sur la sonorité même de l’instrument. Pas seulement au niveau des effets ou de l’ampli, mais vraiment de manière acoustique, dans la manière de faire sonner la guitare. C’est un travail de longue haleine, mais je pense qu’on en perçoit les résultats sur « Escape From Shadows ».

Cet album n’a pas seulement été complexe à réaliser : il a failli ne jamais voir le jour. Entre les premières ébauches d’écriture, les débuts d’enregistrement… et sa sortie aujourd’hui, il s’est passé un sacré bout de temps.

Oui, c’est un très long processus, pour plusieurs raisons… Il y a eu pas mal d’épreuves personnelles, des passages compliqués dans ma vie privée qui ont créé des coupures, des blancs, des périodes de doute. Il m’est arrivé très souvent de penser que l’album ne sortirait jamais. Encore, il y a deux ans, je n’étais pas certain d’y arriver. Et puis, à un moment, les choses se sont un peu débloquées. Mon pote Pascal Vigné m’a proposé de venir enregistrer des guitares chez lui. Ça a relancé quelque chose. Ensuite, le Covid est arrivé. Comme tout le monde, je me suis retrouvé confiné, et on est partis à la campagne. Là, je me suis dit : « Bon, au moins, je vais enregistrer toutes les guitares, comme ça, ce sera fait. » Je n’avais rien d’autre à faire, donc je m’y suis mis sérieusement. J’ai terminé toutes les parties de guitare de l’album à ce moment-là, sans trop savoir ce que j’en ferai. Mais au moins, c’était enregistré.

Avec les amis Pat O’ May, Ron « Bumblefoot » Thal. ©jean-pierre sabouret

Je m’en souviens très bien. On était au Forum de Vauréal, pour un concert qui n’a pas eu lieu à la dernière minute…

Exactement. On était en pleine tournée, tout était calé… et là, on nous annonce que tout est annulé. Du jour au lendemain. Alors on est partis à la campagne, et j’ai dit à tout le monde : « Moi, je vais finir mes guitares. » C’est ce que j’ai fait à ce moment-là. Mais ensuite, ça a encore pris du temps. Il a fallu que Manu (Martin) trouve un créneau pour finir les claviers – et il a fait un super boulot, vraiment. Après ça, on a dû réfléchir à la suite. Est-ce qu’on garde les prises ? Est-ce qu’on réenregistre certaines guitares ? Il fallait aussi décider de la production. Est-ce que je sortais l’album moi-même ? Est-ce que je cherchais un label ? Et puis, un jour, Verycords m’a contacté par l’intermédiaire de mon tourneur, Phil. On a eu un rendez-vous, Mehdi (El Jaï) était très motivé à l’idée de sortir l’album. J’ai signé en me disant : « Voilà, cette fois c’est bon, il va enfin voir le jour. » Après ça, on a eu un moment où on avait du temps… puis plus du tout ! Il a fallu accélérer un peu pour boucler tout dans les délais. Mais, au final, je suis très heureux d’avoir pu aller jusqu’au bout.

Donc, tu as vraiment tout mis dans cet album ? Il ne te reste rien sous le coude ?

Rien du tout. J’ai tout mis, comme je le fais toujours. Ce qui ne me plaît pas, je le jette. Ce qui me plaît, je le garde, et ça finit sur l’album. Entre le moment où j’ai terminé « Escape From Shadows » et aujourd’hui, je n’ai rien composé. Si je devais faire un nouvel album demain, je partirais de zéro. Page blanche. Mais c’est toujours comme ça chez moi. Il y a juste un morceau, à l’époque, qui devait être sur « Amphibia », sur lequel Michel Petrucciani est venu jouer, et qui avait été composé plus tôt. Mais, en dehors de ça, je repars à chaque fois de rien. C’est aussi pour ça que je tiens au format album. J’aime cette idée de cycle complet, de quelque chose qui commence et qui se termine. Et en plus, je me suis interdit de composer quoi que ce soit d’autre tant que celui-ci n’était pas sorti. Parce que je me connais : si j’avais commencé à écrire de nouveaux morceaux, j’aurais fini par trouver les anciens moins bons, ou datés… Et du coup, l’album ne serait jamais sorti. Donc j’ai préféré ne rien faire, attendre que ça sorte. Et je m’étais dit : s’il ne sort pas, tant pis, il n’y aura rien d’autre. Mais au moins, je ne remettrai pas tout en question.

Article paru dans le numéro 371 de Guitar Part.

Gaëlle en renfort

Seule exception à un album purement instrumental, le morceau Now We’re Home est enluminé par la voix de Gaëlle Buswel, amie de longue date de Patrick. Sur YouTube on retrouve notamment le tandem au Pacific Rock de Cergy il y a une dizaine d’années, sur une reprise toute en finesse de Bryan Adams, Everything I Do…

« Gaëlle, je la connais depuis longtemps. Ce morceau, je ne comptais pas le garder : en instrumental, il ne fonctionnait pas. Mais en l’imaginant chanté par elle, tout a pris forme. Je l’ai donc entièrement repensé : intro planante, solo central aérien, rythmique un peu tordue, mais fluide. Je voulais que ça reste dans mon univers. Surtout, pas de cliché. Les gens s’attendaient peut-être à un chanteur à la Joe Lynn Turner, ou un gros titre de viking metal… En fait, c’est tout l’inverse. Et ce mélange, j’en suis vraiment content. »

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