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Ciné-musique : Bob, ce parfait inconnu

Bob Dylan, figure mythique du rock contestataire, est-il un guitar-hero ? Pas vraiment. Mais un héros avec une guitare, sans l’ombre d’un doute. L’un des plus glorieux, et des plus complexes qui soient. Rien d’étonnant donc à ce qu’il soit devenu au cinéma le sujet d’« Un parfait inconnu », un biopic qui devrait marquer son genre…

Alors que le biopic devient une stratégie commerciale choyée par l’industrie hollywoodienne, l’icône Dylan nous revient dans toute la fougue de sa jeunesse, devant la caméra d’un expert, James Mangold. Outre la mort de Wolverine (« Logan », 2017) et le périlleux défi d’un ultime « Indiana Jones »,
Mangold s’est déjà illustré dans l’art du biopic avec une référence, « Walk the Line » (2005), sur la vie de Johnny Cash, transcendé par l’interprétation de Joaquin Phoenix. Mais brosser le portrait d’un musicien comme Bob Dylan est une gageure. Se réinventant régulièrement, expert à se débarrasser des étiquettes, jalonnant son parcours imprévisible de titres entrés dans l’inconscient collectif, la légende bien vivante Dylan reste un mystère. Et c’est tout l’intérêt de le remettre au premier plan : parce qu’il reste un mystère! Il y a encore tout à découvrir sur cet artiste qui a vaincu les formatages, et dont les démarches sont toujours d’actualité.

Pour résoudre l’impossible équation de résumer le personnage, le cinéma a déjà contourné le problème avec l’ingénieux « I’m not there » (2007) de Todd Haynes, qui confiait 6 étapes différentes de sa vie à 6 acteurs et actrices différents. Se détournant de l’exposé biographique qui raconte l’histoire de la naissance à la mort, James Mangold choisit pour évoquer l’importance de Bob Dylan, d’adapter le livre « Dylan goes Electric » d’Elijah Wald, se consacrant aux quatre années déterminantes pour sa carrière. Une ascension qui culmine au Newport Folk Festival de 1965 lorsque, rompant avec les usages et prenant son indépendance artistique, la jeune vedette du folk devenue phénomène de la contre-culture, investi la scène avec une guitare électrique, fusionnant folk et rock dans la controverse. Confier le rôle-titre à la star montante Timothée Chalamet n’est pas le moindre des atouts du film « Un parfait inconnu » pour séduire un nouveau public, mais Mangold est parvenu à donner à ce public une clef pour comprendre l’artiste, s’approprier la démarche d’un explorateur des genres musicaux qui ne va plus cesser de se réinventer. Un pari gagné puisqu’avant même sa sortie en France, le 29 janvier, le film jouit d’une sacrée réputation et d’une pluie de nominations, dont 8 aux Oscars.

Bob rock

L’intelligence du film de Mangold repose aussi sur un respect de la légende, même si elle n’est pas totalement factuelle. La colère des festivaliers pendant la prestation de Bob Dylan ne tient peut-être pas qu’à son passage polémique à la guitare électrique, mais aussi à une exécution problématique qui pousse Dylan à changer sa formation en cours de concert. Une perfomance réduite à seulement 3 titres, qui souffre en outre d’une sonorisation mal adaptée à l’électrique. Pete Seeger a bien menacé de couper les câbles à la hache, mais cette colère qui a marqué les mémoires s’adressait à la gestion du son, et non à l’audace de Dylan, que Seeger a soutenu sans réserve… Qu’importe. Porté par le charisme de Chalamet, le film fait plus qu’amener les fans à de belles retrouvailles, il appelle ouvertement un public plus large vers une icône et l’époque de son émergence. Un portrait de groupe, évocateur d’une autre Amérique, en un temps où les idéaux avaient une valeur et où leurs interprètes n’étaient pas des produits, et changeaient vraiment le monde. Poète et prophète, briseur de chapelle, Dylan devient à ce moment-là une véritable légende, avec sa propre mythologie. On peut même définir un point de bascule dans cette évolution vers une mémoire collective. Dans la foulée de la révolution artistique racontée par le film de Mangold, Dylan part en tournée en Grande-Bretagne, après la sortie de son nouvel album, « Bringing It All Back Home » (1965). Son manager demandant au documentaliste et précurseur du cinéma-vérité, D.A. Pennebaker – qui filmera plus tard Hendrix et Joplin à Woodstock -, de suivre la tournée pour en faire un film. Le documentaire « Dont look back » (*) s’ouvre sur une séquence consacrée au premier single de l’album de Dylan, qui est alors dans le top 10 anglais, et lui ouvre toutes grandes les portes du rock : Subterranean Homesick Blues. Avec ce titre, Dylan délivre une profession de foi d’indépendance artistique. Revisitant la construction rythmique du blues avec Chuck Berry en tête, il emprunte pour le titre à un livre de Kerouac, modèle de cette beat generation à laquelle il s’identifie, et se lance dans un flot de paroles ininterrompu qui rappelle autant le scat que le « blues parlé ». Délirant mashup des angoisses des sixties - Dylan a dit que sa chanson parlait des survivants après l’explosion de la bombe -, cette avalanche de phrases qui claquent sont autant de slogans appelant à être interprétés. C’est à ce stade que le documentaire vient décupler l’impact du « tube », avec ces images saisies, comme volées, dans l’arrière rue du Savoy de Londres. On y voit Dylan qui ne chante pas, désinvolte, le regard distrait, et fait tomber des pancartes portant un choix des paroles de la chanson. Signe discret d’une appartenance à un courant de pensée, les deux gars qui discutent derrière Dylan sont ceux qui ont écrit les panneaux. Le barbu, c’est le poète Allen Ginsberg, fondateur de la Beat Generation, et l’autre Bob Neuwirth, musicien ami et manager de Dylan. Vraisemblablement, il manque un troisième graffeur de carton, le tout jeune Donovan, sur le point de devenir le premier « hippie » britannique… Des images qui figent dans le temps une attitude que chacun voit à sa façon entre assurance, moquerie, cynisme ou dédain. Une irrévérence qui, contrastant avec la portée des mots, fascine et provoque.

Ce défilé maladroit de pancartes est-il là pour souligner le sens des paroles de la chanson ? Ou démontrer, comme une mise en garde, qu’il n’y a pas qu’une lecture à une même déclaration, captivés que nous sommes par cette image qui accapare déjà la sphère médiatique… Claque artistique ou happening poétique, la séquence est utilisée en bande-annonce pour le documentaire avant d’en être extraite pour devenir une entité filmique autonome, hors du temps, cristallisant une époque de remise en question à ceux qui sauront la décrypter. Message subliminal signé Dylan dans la mémoire collective, ces images vont circuler, être reprises, copiées, détournées, propulsées figure de style de la culture populaire. Dylan n’a pas inventé le rock, qui ne l’a pas attendu pour allumer les amplis. Mais ce qu’il a fait pour le rock en abolissant les barrières entre genres musicaux est capital. À l’exemple de cette guitare électrique amenée dans un sanctuaire du folk, et cette chanson hors-norme, qui préfigure aussi bien le clip que le rap, et dont nous continuons d’interpréter les paroles. Sincère, soigné, habité par ses acteurs, le film de Mangold vient s’inscrire dans cette continuité, en racontant au public du 21e siècle ce qui a mené le Bob Dylan des années 60 à cette indépendance artistique qui nous inspire encore…

Elle Fanning en Sylvie Russo, personnage fictif inspiré par Suze Rotolo, compagne de Dylan au début des années 60. © Searchlight Pictures
Monica Barbaro en Joan Baez, souvent malmenée par Dylan. © Searchlight Pictures
Une des reconstitutions bluffantes des séances de studio de Bob Dylan. © Searchlight Pictures
Edward Norton méconnaissable en Pete Seeger, «l’homme à la hache». © Searchlight Pictures

Un tournage bien accordé

Retrouvant la quête de réalisme qui avait fait le succès de son « Walk the line », James Mangold a encouragé ses interprètes à s’investir dans leur rôle jusqu’à apprendre à jouer de leurs instruments et à chanter eux-mêmes leurs chansons. Option généralement envisagée par la production avec beaucoup de méfiance… Après 5 années à se faire la voix et à s’initier à la guitare et à l’harmonica, Timothée Chalamet a ainsi pu incarner un Bob Dylan d’une crédibilité impressionnante, entouré par des acteurs qui ont relevé le défi avec autant de brio : Edward Norton qui incarne Pete Seeger, Monica Barbaro qui compose une remarquable Joan Baez, et Boyd Holbrook, impeccable en Johnny Cash. Une démarche qui a conduit les ingénieurs du son à retrouver l’identité musicale et sonore de l’époque en reconstituant au mieux les conditions d’enregistrement. Ils ont pour cela pu se servir des archives de Columbia Records qui, riche d’enregistrements inédits, gardent aussi en mémoire le matériel utilisé pour les sessions. Les acteurs ont donc pu interpréter leurs titres en live avec des micros correspondant à la période, Gibson ouvrant ses archives pour reconstituer les sets avec des guitares acoustiques d’époque, certaines étant refabriquées à l’identique, dont deux J-50 avec leur table spécifique. Toujours aussi pointilleux, Edward Norton joue sur la Martin 12 cordes originale de Pete Seeger, reconnaissable à sa rosace triangulaire… Timothée Chalamet n’a en revanche pas pu jouer sur LA Fender Stratocaster sunburst 1964 avec laquelle Bob Dylan a changé l’ordre -musical- des choses au Newport Festival de 1965, l’objet ayant rejoint la légende avec tout son mystère. Et ses chiffres. La Stratocaster a été retrouvée – avec des partitions - dans l’avion privé qui transportait les musiciens au festival. Le pilote Victor Quinto a signalé sa trouvaille, mais personne n’est jamais venu la réclamer. C’est après sa mort que sa fille retrouve la guitare, 12 ans plus tard, dans le grenier familial. Et, plus tard encore, qu’elle fait le rapport avec le Newport Folk Festival. Véritable icône de la guitare électrique, la Fender est authentifiée en 2012, avant que Bob Dylan ne remette en cause la belle histoire avec son talent à faire tomber les certitudes, annonçant qu’il possède toujours cette guitare ! Tout cela s’est fini devant les tribunaux à l’avantage de la fille du pilote, et d’un mélomane anonyme qui s’est offert la merveille, mise aux enchères à Christie’s la même année, adjugée pour la somme record de 965 000 $… Mais le doute plane encore dans l’esprit de certains puristes !

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Story
Frédéric Lelièvre
28/5/2025
Searchlight Pictures
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