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Peu importe à quel point tu es occupé dans ta vie, tu as toujours quelque chose en cours… Mais cette fois, on va commencer par parler de « Breakthrough ». Parce que, quoi que tu fasses à côté, j’ai l’impression que c’est encore et toujours la musique que tu signes de ton nom qui compte le plus.
Oh, merci, merci ! Tu sais, on a mis plus de deux ans à faire ce disque. Et c’est un album… étonnamment cohérent, en fait.
Et j’imagine que c’est de plus en plus difficile, parce que plus tu fais d’albums, plus tu écris de morceaux et plus tu dois te dire : « Tiens, celui-là ressemble un peu trop à tel autre… » Ou alors, au contraire, tout te vient naturellement : quand tu trouves l’énergie de te lancer dans un album, les chansons s’enchaînent sans effort ?
Ce que je fais, que ce soit avec Rock Candy Funk Party, Black Country Communion ou tous mes autres projets ou collaborations, c’est toujours différent, ça montre une autre facette… Mais mes albums en solo, ceux que je sors sous mon nom, c’est vraiment ce que je suis, profondément. Une sorte de mélange de tout ça.
Mais ça ne t’arrive jamais de tomber sur une chanson et de te dire : « Je la garde pour un autre projet, parce que ce n’est pas totalement moi » ?
Non, pas vraiment. J’écris toujours pour l’album en cours. Quand il s’agit d’un disque solo, je compose spécifiquement pour ça. Si j’écris avec Glenn (Hughes, NDR) pour Black Country Communion, toutes les chansons sont pensées pour ce groupe — même si elles ne finissent pas toutes sur l’album, c’est une autre histoire. Mais je ne prends jamais un morceau écrit pour moi en me disant : « Tiens, je vais le refourguer à Black Country Communion ». Tout est fait sur mesure, à la carte, en quelque sorte.
Justement, comment naissent tes chansons, en général ?
Eh bien, tout part souvent d’un texte, ou d’un concept de chanson. Et ensuite, j’écris la musique autour. C’est plus facile, à mon avis, de composer de la musique à partir de bons textes que d’écrire de bons textes à partir d’une musique déjà existante.
Ce que tu tiens du blues, dans tous tes albums, c’est cette part d’émotion brute. On est à mille lieues de certaines musiques plus froides ou désincarnées. Tu injectes de la force, de l’émotion dans les textes, mais aussi dans le jeu : de la douleur, de la colère, du désespoir parfois… Tu peux jouer un blues lent avec des harmoniques quasi déchirantes, et l’instant d’après, envoyer un riff presque heavy metal en pleine figure. C’est ce contraste qui te définit aussi, non ?
Exactement ! Et c’est tout l’intérêt de faire un album. Tu veux que ce soit assez varié pour embarquer les gens dans un voyage.
L’émotion, ce n’est pas si facile à convoquer à volonté.
C’est vrai. Mais si la chanson est solide, tu vas finir par trouver cette émotion. Tu vois ce que je veux dire ? Tu essaies juste de trouver ce morceau qui signifie vraiment quelque chose pour toi. Et à partir de là, le reste suit.
Te souviens-tu parfois de ce que tu ressentais quand tu as appris à jouer, quand tu reprenais des morceaux ? Il y avait de l’émotion, déjà. Et un jour, tu développes cette capacité à la recréer toi-même, avec ta propre musique…
Oui, c’est vrai. Tu sais, mais je coécris beaucoup des morceaux qu’on enregistre. Et j’ai la chance d’être entouré de super auteurs avec qui je travaille régulièrement. J’aime vraiment collaborer, pour être honnête. C’est un vrai plaisir pour moi.
Je sais que tu aimes t’entourer de gens différents, avec des talents variés… Et ça t’apporte forcément quelque chose, non ?
Oui, sans aucun doute. Et il faut savoir l’accueillir, ça. Il faut être ouvert à ce qui fonctionne et aussi à ce qui ne fonctionne pas. Là, par exemple, on a littéralement enregistré vingt morceaux… Et, au final, on en a gardé dix. Ceux qui avaient vraiment du sens pour l’album.
Tu ne ressens pas le besoin de te dire : « Allez, j’ai vingt morceaux, il faut qu’ils soient tous sur l’album » ?
Non, pas du tout. Tu peux très bien garder certains titres pour plus tard. Il y en a quelques-uns vraiment excellents qu’on n’a pas utilisés sur cet album, et on compte bien s’en occuper. D’ailleurs, on l’a déjà fait, en quelque sorte…
Est-ce que tu ressens, à un moment donné, que tu as les bons morceaux ? Celui-là est lent, celui-ci plus agressif, celui-là plus atmosphérique… Et tu te dis : « OK, là, j’ai un vrai album » ?
Oui, il y a un moment où tu te dis : « C’est bon, je crois qu’on a assez de titres. » Mais tu veux surtout t’assurer que tout soit cohérent. Que l’ensemble est solide. J’ai l’impression de répondre à la même question huit fois d’affilée…
Oui, je sais, désolé… Mais ce que je voulais dire, c’est que ce que je trouve vraiment réussi sur cet album, c’est que du premier au dernier morceau, surtout dans ce registre blues rock, on n’a jamais deux fois la même chanson. Et c’est ça que j’aime dans ce style : tu peux faire tellement de choses différentes avec du blues, du rock, un peu de folk aussi… C’est incroyable.
Oui, je vois ce que tu veux dire. Merci. J’apprécie tes mots.
En fait, je pensais surtout à toi. Parce qu’à chaque fois qu’on parle, ou que je te vois sur scène, c’est comme si tu débutais. Tu dégages toujours la même énergie, la même excitation… Après toutes ces années, comment tu fais ? Sincèrement.
Eh bien, je bosse dur, voilà. Tu fais de ton mieux, et, au bout du compte, tu laisses derrière toi l’héritage que tu auras construit.
Oui, c’est une question intéressante, l’héritage… Et quand tu ne joues pas ? Quand tu es juste auditeur, à la maison ou ailleurs, tes goûts ont-ils un peu évolué ? Ou est-ce que tu restes fidèle à ta playlist habituelle : un peu de Cream, un peu de Rory Gallagher, John Mayall, ou encore du Peter Green’s Fleetwood Mac ?
Mes influences ? Clapton, Rory… Oui. En fait, ce sont toujours les mêmes. Depuis que j’ai commencé à enregistrer des disques, elles sont là.
Pour ton propre plaisir, est-ce que ça t’arrive de faire des trucs un peu absurdes, je ne sais pas, écouter ce qui se passe dans la musique actuelle, par curiosité ? Ou bien est-ce que tu es tellement heureux avec ta collection de vinyles, ton téléphone ou ta discothèque mentale que tu n’as pas besoin d’aller voir ailleurs ?
Disons que je garde un œil sur ce qui se passe dans le blues, oui. C’est important d’écouter ce que les autres font, bien sûr. Mais, en général, j’essaie surtout de suivre ma propre voie.
Mais là-dessus, soyons honnêtes… Tu es peut-être un peu comme moi : ces dix dernières années, il n’y a pas eu un nouveau Led Zeppelin, un nouveau Beatles, un nouveau Cream — un groupe ou un artiste qui bouleverse vraiment ta vie, non ?
Oh… Tu sais, je pense que l’un des plus grands artistes de ces dix dernières années dans le blues, c’est Marcus King. Vraiment. Il est fantastique ! Il a vraiment fait beaucoup pour nous. Gary Clark Jr. aussi, d’ailleurs…

Et je viens justement de voir un musicien, tu le connais peut-être vu qu’il joue avec Band of Friends, avec l’ancienne section rythmique de Rory Gallagher. Davy Knowles. Ça te dit quelque chose ?© savoia photography© savoia photography
Oui, je connais très bien Davy, en effet…
Tu n’as jamais été invité au Rory Gallagher International Festival de Ballyshannon ?
Non, mais j’ai été invité par la famille de Rory Gallagher et par Peter Aiken (l’un des principaux organisateurs de concerts en Irlande, NDR) pour faire trois concerts début juillet, à Cork !
Mais, oui, je viens juste de voir ça (l’interview s’est déroulée le 10 juin, NDR)…
C’est ça que j’ai prévu. Quand Donàl (Gallagher, frère et manager de Rory, NDR), Daniel (neveu de Rory, NDR) ou Peter m’appellent, je réponds présent. Je ne sais pas trop ce qu’est exactement le principe du Rory Gallagher Festival, mais, ce que je sais, c’est que, si mes amis Daniel, Donàl et Peter m’invitent, je suis à leur service et trop heureux de participer.
J’essaierai de venir à l’un de ces concerts, c’est sûr. Trois dates à Cork… Waouh. Et tu vas jouer plusieurs titres de Rory sur scène, j’imagine ?
Oh, s’il te plaît… C’est un vrai hommage à Rory Gallagher. Et en plus, pour les 30 ans de sa disparition. Dans sa ville natale, avec sa famille. C’est du Rory Gallagher à 100 %. Et là, c’est tout le concert qui lui est dédié, OK ?
Oh, pardon… Mais à Ballyshannon, les groupes jouent aussi leurs morceaux, pas uniquement ceux de Rory.
Oui, tout à fait. C’est une autre démarche. Et ce qu’ils font à Ballyshannon est génial. Vraiment fantastique. Il n’y a pas de meilleures personnes que Davy et les autres pour faire ça. Mais ce que je vais faire, moi, c’est complètement différent. Un hommage à Rory, dans la ville où il a grandi. Pas de première partie. On va descendre là-bas… Et, j’espère, tout déchirer.
Je n’en doute pas une seconde. Et tu sais pourquoi je te connais, toi ? Parce qu’à l’époque, il n’y avait même pas de distribution pour tes albums. On trouvait ta musique uniquement sur internet, en cherchant partout. Et ta reprise de Cradle Rock m’a scotché. À partir de là, tu étais sur ma liste, et je ne t’ai plus jamais lâché. Surtout après t’avoir vu sur scène à Paris en 2008, au New Morning, tu t’en souviens ?
Oui, je m’en souviens…
C’est un magazine guitare, tu le sais… Et on a beaucoup de lecteurs passionnés de matos, de modèles, d’amplis, etc. Alors, pour cet album, tu as dû changer beaucoup de choses ? Tester du nouveau matos ? Ou bien tu es tellement rodé à ton setup habituel que tu ne touches plus à rien — de peur que tout s’écroule ?
On a fait ce disque dans plusieurs endroits différents : en Grèce, à Nashville, à Los Angeles… Et, à chaque fois, j’ai deux configurations bien distinctes. Pour ce qu’on a enregistré à Santorini, c’était avec ce qu’il y avait sur place, dans le studio. Un vrai patchwork : une guitare acoustique Ovation branchée dans un Hot Rod, une Slash Signature, un Dumble, une Les Paul de 59… Un mélange total. Sinon, j’utilise ma wah Cry Baby signature, le modèle Deep State est sur mon pedalboard. Et je joue parfois des Epiphone sur scène, dans mes concerts en solo. Ça dépend vraiment des dates.
Côté développement, avec Gibson ou d’autres, tu as quelque chose en préparation actuellement ?
Oui, on a une nouvelle Epiphone qui sortira cet automne. Et on travaille aussi sur un truc avec Fender… Je ne peux pas en dire plus aujourd’hui, mais il faut s’attendre à quelque chose l’an prochain.
Et côté amplis… Tu continues à jouer sur du matos classique, ou bien tu t’intéresses un peu aux nouvelles technologies, aux systèmes de modélisation ?
(Le ton monte) Sérieusement ? Tu me poses vraiment cette question ? Tu crois que j’utilise Fractal ?
Non, non… Pas vraiment. Même si aujourd’hui, certains bons musiciens, y compris dans le blues, s’y mettent. Je voulais avoir le fond de ta pensée…
Effectivement, certains utilisent des Neural, des Fractal… Bien sûr. Mais, franchement, tu pourrais répondre à cette question à ma place, vu mon goût, mon obsession, mon entêtement, appelle ça comme tu veux, pour le vrai matos.
Oui, tu as tout à fait raison…
Donc non. Je n’en utilise pas. Moi, j’aime quand c’est fort !
Et sur l’album, tu as un ampli que tu as utilisé plus que les autres ?
Non, pas vraiment. J’ai utilisé un peu de tout : un Tweed Twin, un Dumble, un Hot Rod, un Blues DeVille… un JTM45 aussi. Et même un ampli Fender modifié façon Dumble.
Ces dix dernières années, avec toutes ces enchères, quantité d’instruments sont devenus inaccessibles… Certains modèles ont pris une valeur complètement folle. Toi, tu baignes là-dedans depuis longtemps, avec ton père notamment. Ça te choque ? Ou c’est logique, quelque part ? Franchement, qui connaît mieux que toi la valeur de certaines guitares iconiques ?
Je ne suis pas un vendeur de guitares, mais je connais leur valeur, oui.
Et récemment, il y a eu des ventes incroyables. Des enchères autour de Rory, entre autres…
Oui, mais la valeur des guitares vintage n’est pas la même que celle des guitares ayant appartenu à des célébrités. Quand David Gilmour a vendu sa collection, ou Mark Knopfler… Ce ne sont pas que des guitares anciennes de collection. Ce sont aussi des objets de mémoire. Ça les place dans une autre catégorie. Et c’est pour ça que les prix s’envolent. Il y a une vraie différence entre une guitare vintage « normale » et une guitare ayant appartenu à une star. Ce genre d’instruments prend plus de valeur, non pas seulement à cause de l’objet, mais parce qu’ils ont été utilisés en studio, qu’ils ont un historique, une provenance. Et certains collectionneurs ne veulent que des guitares de célébrités. Moi, c’est différent : je préfère collectionner des exemplaires « clean », en très bon état, de ces modèles-là. C’est un autre rapport à l’instrument… Bon, je dois y aller… Je monte sur scène avec Black Country Communion à Hambourg, à 19 h (il est 18 h 55, NDR).
Oui, on m’avait prévenu. Bonne chance pour le concert. J’essaierai de te recroiser à Cork…
Article paru dans le numéro 372 de Guitar Part.
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